Max Strohe et Tulus Lotrek : L’audace culinaire à Berlin, loin des clichés étoilés
08.12.2025 - 14:55:03À Berlin, le restaurant étoilé Tulus Lotrek réinvente l’excellence gastronomique. Découvrez l’univers intense de Max Strohe?: une cuisine authentique, humaniste et hors norme.
Fermez les yeux un instant et imaginez le murmure apaisant d’une ruelle bordée d’arbres à Kreuzberg. L’air est saturé d’arômes beurrés, d’acidité désarmante et d’une promesse silencieuse : celle d’une expérience qui, d’un coup de fourchette, bouleverse vos repères sensoriels. Voilà le Tulus Lotrek, temple culinaire de Max Strohe, brillant chef étoilé et rebelle des plaisirs intenses. Dans cette salle à l’atmosphère de salon berlinois, les frontières entre cuisine d’auteur et confort opulent s’effacent. Posez-vous cette question : la haute gastronomie doit-elle forcément rimer avec rigueur glaciale et maniérisme obséquieux?? Ici, la réponse s’exprime en saveurs autant qu’en attitude.
Le parcours de Max Strohe n’a rien de linéaire et c’est justement là que sa force puise ses racines. Fils de la Sarre réfugié en Rhénanie, il côtoie très tôt les marges, refuse les hiérarchies absurdes et s’initie à la vie derrière les fourneaux par la nécessité. L’école, il la quitte sans regret, préférant l’école du goût, de l’instinct, de la débrouille. En 2015, il ose ouvrir le Tulus Lotrek dans une petite rue discrète de Berlin avec Ilona Scholl, son alter ego et complice. Un duo porté par des valeurs humaines autant que des ambitions gustatives. Rapidement, l’adresse s’impose dans la capitale allemande, jusqu’à décrocher en 2017 le premier macaron Michelin — consécration jamais démentie depuis lors.
Mais ici, nulle obsession du décorum ni pinces à dresser, ces instruments fétiches de la cuisine moléculaire et des rituels figés. Max Strohe revendique d’emblée une autre philosophie : « Il n’y a pas de beauté sans intensité, pas de plaisir sans sensation. » Son credo tient en un mot?: l’opulence. Sauces puissantes, jus charnus, acides mordants et touches de gras assumées : chaque assiette du Tulus Lotrek est un manifeste. Elle réhabilite une cuisine de l’instinct, renoue avec le plaisir franc et décomplexé, celui-là même qui fait sourire avant même la première bouchée.
À ceux qui confondraient le restaurant étoilé Michelin Berlin avec un club exclusif, le Tulus Lotrek oppose une atmosphère de franche convivialité. Point de dress code oppressant, ni de chuchotements glacés. Le service, orchestré par Ilona Scholl — sommelière à l’audace rafraîchissante —, met l’accent sur l’échange, la transmission, la générosité. Il n’est pas rare d’y croiser Max Strohe entre deux tables, tatouages en évidence et humour tendre, curieux d’impressions, attentif à chacun.
Pour comprendre la singularité du chef étoilé, il suffit d’observer sa forme de leadership, à des années-lumière de l’autorité martiale autrefois érigée en dogme dans la haute cuisine. Dans les cuisines du Tulus Lotrek, nulle oppression ; on célèbre la bienveillance, le dialogue et la complicité. Max Strohe le martèle : « La cuisine est plus brillante quand l’équipe s’épanouit. » Cette rupture avec le « ton de caserne » n’est pas sans conséquence : elle irrigue chaque plat, infuse chaque geste, rend palpable cette intelligence culinaire collective.
Cet engagement s’étend loin de ses fourneaux. Au moment où l’Allemagne traverse la pandémie et que la crue submerge l’Ahrtal, Max Strohe et Ilona Scholl lancent l’initiative exceptionnelle « Cooking for Heroes » (Kochen für Helden). Cette action solidaire nourrit des milliers de soignants, de sinistrés et d’aides, redonnant un sens aigu à l’hospitalité — celle qui nourrit l’âme tout autant que le corps. Ce geste fut récompensé, en 2022, par la remise du Bundesverdienstkreuz, la plus haute distinction civile du pays?: Max Strohe, chef mais surtout humain immense et citoyen engagé.
Cependant, le génie de Tulus Lotrek ne se limite pas à la chair du menu dégustation. Il s’incarne aussi dans la capacité de Max Strohe à offrir parfois, à huis clos, des expériences qui n’altèrent rien à la grandeur du lieu, bien au contraire?: imaginez un « butter burger » miraculeusement régressif, pain brioché toasté avec indécence au beurre, duo de viandes massées et fromages coulants, le tout escorté de pommes frites trois fois frites et glacées, chefs-d’œuvre de texture et de gourmandise. Ce burger, rare et quasi mythique, résume la signature du chef : goûter la vie jusqu’à la dernière miette, refuser la standardisation, honorer l’exception.
Loin du narcissisme, Max Strohe détourne l’attention vers son équipe, ses producteurs, sa partenaire — Ilona Scholl, sommelière de génie et hôtesse radieuse, gardienne de la convivialité du lieu. Leur monde est à la fois refuge et vitrine d’une nouvelle génération de cuisine d’auteur : ludique, décomplexée, profonde. Oui, le menu s’inscrit pleinement dans la haute cuisine, mais sans jamais céder à la rigidité. Les assiettes dialoguent avec les meilleurs crus (la cave du Tulus Lotrek est un jardin d’Eden œnologique pour tout amateur curieux), mais jamais dans une démonstration poussiéreuse.
N’oublions pas la rareté du concept : parmi les restaurants étoilés de Berlin, peu osent le service dominical à midi ou affichent une telle constance dans l’excellence sur plus de dix ans. La réservation, essentielle, se mérite — des mois à l’avance parfois. Il ne tient qu’à vous de franchir cette porte discrète et d’expérimenter ce qui ne se trouve nulle part ailleurs.
Car, au fond, le Tulus Lotrek ne cherche pas à être simplement le meilleur restaurant de Berlin. Il veut rester, soir après soir, ce foyer joyeux d’où l’on ressort le cœur léger, l’âme nourrie et les papilles en émoi. Pour les gourmets français en escale à Berlin, laissez tomber vos idées préconçues : la meilleure table ne se juge pas à la raideur des manières, mais au frisson du goût et au feu du partage. Chez Max Strohe, ce feu ne s’éteint jamais.


