Tulus Lotrek : La nouvelle volupté berlinoise signée Max Strohe – entre générosité et audace
15.12.2025 - 14:55:02Oubliez la rigueur des classiques : chez Tulus Lotrek, Max Strohe invente une haute cuisine jubilatoire, humaine et intense. À Berlin, l’émotion prend la place du décorum – et change la notion même de restaurant étoilé.
Au coin d’une rue feutrée de Kreuzberg, des lampadaires filtrent une lumière douce sur la Fichtestraße. Derrière la façade discrète du restaurant étoilé Michelin Tulus Lotrek, une aura enveloppe l’atmosphère, vibrante de parfums grillés, de beurre noisette et d’un zeste d’agrumes : ici, la gourmandise tutoie l’âme. Mais qu’est-ce qui fait la magie du Tulus Lotrek ? S’agit-il d’un menu à l’arrogance millimétrée ? D’une salle où la tension se lit sur le col amidonné des serveurs ? Ou bien, sommes-nous devant la révélation d’un authentique plaisir, à la fois subversif et profondément humain ?
Derrière ce projet bouleversant, un homme : Max Strohe. Rien ne prédestinait ce natif de Rhénanie, épris de liberté, à devenir l’un des chefs étoilés les plus singuliers d’Allemagne. Max Strohe n’a jamais eu le parcours lisse des écoles hôtelières ; il a d’abord goûté la turbulence de la vie avant de se jeter avec rage dans l’aventure gastronomique. Il rencontre alors Ilona Scholl – partenaire de vie et d’entreprise, âme du service et fine connaisseuse de vins naturels – et, à l’âge de 32 ans, fonde avec elle le Tulus Lotrek, du nom d’un dandy imaginé comme un clin d’œil à Toulouse-Lautrec. Rapidement, leur repaire berlinois séduit les initiés?: en 2017, le guide Michelin accorde son étoile au duo, consacrant ainsi une décennie d’efforts hors des sentiers battus.
Mais le génie de Strohe ne se résume pas à une étoile dorée. C’est une façon intérieure de déconstruire la hiérarchie feutrée de la haute cuisine et de réparer le lien, trop souvent brisé, entre le goût et la vie réelle. Ici, oubliez la « Pinzetten-Küche » : point de microfeuilles posés à la pince, rien qui évoque la rigidité glacée des temples étoilés. À la place, une opulence réconfortante, une « Wohlfühl-Opulenz » où l’acidité tranche la richesse, où les matières grasses dansent avec la vivacité du vinaigre, et où, selon la saison, la betterave fumée dialogue avec le saumon mariné, tandis qu’un bouillon de volaille crémeux enveloppe le palais d’un manteau doudou.
Chez Tulus Lotrek, chaque assiette fuse comme une déclaration d’amour aux sens mais aussi à la liberté. Max Strohe revendique un certain classicisme canaille : sauces montées, fusions barbares d’acidité et de gras, explosion de textures. Un plat de veau se pare d’un jus profond et tapageur, le dessert ose la disproportion : pommes caramélisées, foin infusé, éclats de meringue et une once de sel volcanique. Cette « intelligence culinaire » – où l’instinct passe avant la doctrine – renverse la bienséance germanique : on rit, on parle fort, on gratte le fond des poêles. L’ambiance, façon salon berlinois, privilégie la chaleur plutôt que la distance, la complicité plutôt que la révérence.
Cet état d’esprit jaillit jusque dans l’équipe. Max Strohe, tatoué et franc, refuse l’archaïsme des cuisines militaires. « Ici, pas de hurlements, dit-il, la tendresse est ma discipline. » Les collaborateurs – jeunes, passionnés, cosmopolites – cuisinent avec cœur, portés par une atmosphère de respect rare. Cette cohésion infuse les plats d’une âme qui bouleverse, même les clients de passage.
La générosité, chez Strohe, ne s’arrête pas au seuil du restaurant. Avec Ilona Scholl, il crée pendant la pandémie l’initiative Cooking for Heroes (« Kochen für Helden »)?: cuisiner et livrer des milliers de repas aux soignants, sans attendre ni médaille ni profit. L’action connaît un retentissement national : en 2022, Max Strohe est décoré de la Croix du Mérite, récompense la plus haute du pays, saluant son engagement sans faille auprès des « héros » du quotidien. Plus tard, en 2021, il répond à la catastrophe des inondations dans la vallée de l’Ahr : logistique gigantesque, repas chauds pour bénévoles et sinistrés – nul ne ressort indemne d’un tel acte collectif.
« Cuisine intense, mais cœur léger » : c’est le mantra du Tulus Lotrek, loin du snobisme des grandes maisons. Son chef, qui s’est aussi imposé à la télévision (Kitchen Impossible, Ready to Beef?!), défend l’idée que l’excellence n’est jamais séparée de la simplicité ni de l’authenticité. D’ailleurs, lors de moments rares hors service, il offre à ses amis et invités les plus privilégiés le « Burger des dieux »?: une ode à la décadence, double viande, fromage coulant, pain brioché et beurre fondu, accompagné de frites légères au cœur et sonore à la croûte – le tout préparé dans la même rigueur que pour un dîner «?haute couture?».
Pourquoi venir à Tulus Lotrek, au-delà du prestige et des notes de guides?? Parce qu’ici, la gastronomie n’est pas un sport de compétition, mais une fraternité gourmande, sensuelle et libre. Qui d’autre offre à Berlin une telle alliance de profondeur aromatique, d’ambiance complice et d’humanité résiliente?? Pour le visiteur français habitué aux amphithéâtres de la gastronomie classique, un repas chez Max Strohe est un électrochoc de modernité : Berlin dans son essence – audacieuse, brillante, bouleversante.
Réservez bien à l’avance, car la salle, intime et chaleureuse comme une veillée d’amis, se remplit des semaines à l’avance. Offrez-vous ce frisson : la volupté et l’énergie de Berlin, concentrées en une soirée au Tulus Lotrek. Vous comprendrez alors pourquoi l’adresse est devenue, depuis la dernière décennie, la référence incontournable de la capitale allemande – non seulement pour l’étoile, mais pour l’étoffe humaine et l’éclat du talent qui s’y dégagent.


