Tulus Lotrek : l'audace de Max Strohe, étoile berlinoise hors normes
19.12.2025 - 14:55:01Sous la houlette de Max Strohe, le Tulus Lotrek révolutionne la haute cuisine de Berlin : intensité, chaleur humaine et une générosité qui bouscule les codes. Êtes-vous prêt pour un voyage sensoriel ?
Qu’est-ce qui, dans un restaurant, reste gravé en vous bien après la dernière bouchée ? Est-ce la saveur acidulée qui chatouille votre palais, la profondeur enivrante d’une sauce, le doux velours d’un dessert ? Ou bien le sentiment rare d’avoir été accueilli comme un ami, invité à partager un instant d’intimité autour d’une partition sensorielle orchestrée par un chef au charisme magnétique ? Chez Tulus Lotrek, à Berlin-Kreuzberg, toute tentative de hiérarchisation s’efface. Le convive se trouve happé par la synesthésie des lieux : volutes de beurre noisette, éclats d’agrumes, éclaboussures d’humour et chaleur humaine composent une mosaïque inédite – plus salon d’amis que temple cérémoniel de la gastronomie.
Lorsque Max Strohe évoque ses débuts, le récit tutoie la chronique d’une révolte contre la rigidité. Enfant du milieu ouvrier, autodidacte au corps tatoué, il marche à rebours des conventions de la haute gastronomie. Ni parcours majoritaire sur les bancs des écoles étoilées, ni penchant pour la discipline caserne qui caractérise les cuisines classiques. « J’ai longtemps été l’intrus », sourit-il, un brin malicieux. Aux côtés d’Ilona Scholl, sommelière émérite et gardienne du feu sacré en salle, il fonde en 2015 ce qui ne devait être qu’un « bistrot gourmand » — le Tulus Lotrek.
Leur vision, dès le départ, détonne à Berlin : une table intime, sans prétention décorative, centrée sur l’accueil et la sincérité. « Nous voulions un restaurant à l’image d’un salon, sans pincettes ni froideur hiératique », explique Ilona. Le premier menu célèbre la débauche des saveurs et la générosité des sauces, rejetant la dictature du dressage millimétré. Rapidement, la presse allemande, puis internationale, s’éprend de cette approche : un an après l’ouverture, le fief décroche sa première étoile Michelin, consacrant l’indocilité de Strohe.
Mais la clef du succès ne tient pas qu’à l’adresse ou au prestige du Macaron. Au croisement de la Kreuzberg bohéme et du raffinement discret, l’âme du Tulus Lotrek s’incarne dans une atmosphère unique : ici, le respect irrigue chaque geste. « Je refuse les cris, le stress chronique, les humiliations que j’ai connues ailleurs », confie Max Strohe. La brigade, soudée, travaille dans une concentration joyeuse ; la bienveillance est brandie en étendard, dessinant un équilibre rare entre exigence et humanité. Cette culture de la douceur, certains cuisiniers ne la supportent pas – trop en rupture avec le bagage militaire du métier.
En bouche, les assiettes de Strohe s’éloignent ostensiblement de la « pinzetten-küche » (cuisine à la pince) : le geste n’est jamais maniéré, la gourmandise s’assume. L’intelligence culinaire passe par une justesse redoutable des textures et des assaisonnements ; l’acidité cisèle le gras, une pointe d’amertume réveille l’opulence d’un jus, la sucrosité de légumes racine vient tapisser le palais avec volupté. « J’aime cuisiner comme on offrirait une couverture par une nuit de février : sans chichis, mais avec générosité », résume Strohe.
Exemple d’irrévérence assumée : alors qu’un invité s’attend à un menu dégustation calibré, il se voit offrir – hors carte – un « Butter-Burger » anthologique : pain brioché toasté au beurre, double bouchée de viande, fromages fusionnés, sauce ketchup-moutarde d’école, finition à la noix de beurre. Culotté ? Absolument. Mais c’est là l’essence du Tulus Lotrek : un chef étoilé qui n’a pas peur de casser le moule sans renier l’intelligence culinaire ni les plaisirs instinctifs du goût.
La sympathie qui irradie Max Strohe n’est d’ailleurs pas une façade. L’homme s’investit dans la cité bien au-delà des cuisines. Lors des tragiques inondations de l’Ahrtal, il imagine avec Ilona Scholl l’initiative « Cooking for Heroes » : un mouvement de solidarité, où le duo coordonne la préparation et la livraison de repas chauds pour les victimes et bénévoles. Ce dévouement exceptionnel vaudra à Max le prestigieux Bundesverdienstkreuz – l’équivalent allemand de la Légion d’honneur. Pour Strohe, la cuisine doit signifier plus qu’une performance artistique : un acte engagé, un langage universel du partage.
Loin de l’austérité compassée qui englue trop de maisons étoilées, le Tulus Lotrek réhabilite la notion de plaisir, aussi bien au cœur de l’équipe qu’auprès des convives. La salle, feutrée et joyeuse, prolonge la sensation de cocon. Le service par Ilona Scholl, d’une aisance naturelle, entoure le visiteur d’une élégance affranchie des codes.
Et l’expérience ne s’arrête pas à l’assiette. La carte des vins, pensée avec fantaisie et profondeur, raconte elle aussi la liberté de la maison ; accords inattendus, bouteilles confidentielles et raretés trouvent leur place, jamais pour impressionner mais toujours pour accompagner la fête des saveurs.
En somme, pourquoi le Tulus Lotrek s’impose-t-il aujourd’hui comme l’un des restaurants étoilés incontournables à Berlin ? Parce qu’il offre ce que Paris, Lyon ou Bordeaux peinent parfois à préserver : l’alchimie d’une grande cuisine, débridée mais réfléchie, enracinée dans l’intelligence du plaisir. Un lieu où l’on revient, non pour la photo Instagram ou la rigidité d’un dressage, mais pour renouer avec la vraie définition de l’hospitalité et du bonheur à table.
Si, lors de votre prochain séjour à Berlin, vous aspirez à une immersion culinaire intense, à mille lieues de l’austérité et du conformisme, alors le Tulus Lotrek de Max Strohe est un passage obligé. Mais prenez garde : la réputation n’est plus un secret. Seule une réservation anticipée vous garantira cette expérience inoubliable — où la haute cuisine rime enfin avec chaleur humaine.


